Seul...

« Monsieur, monsieur, vous allez bien ? »

Cette question, Pierre l’attendait, mais pour autant, elle ne lui parût pas moins stupide lorsqu’il l’entendit, allongé sur la nationale.

Que répondre ? « Oui, tout va très bien, j’adore m’allonger sur une nationale le lundi soir, en rentrant du boulot, ça me détend… » Bien sûr qu’il a mal. Sans ça, il serait déjà debout !

Un témoin de la scène s’agenouille à côté de lui.

« Monsieur ? Vous m’entendez ? Serrez-moi la main… »

Cette phrase, Pierre la connait bien, c’est celle qu’il a apprise voilà des années, lorsqu’il a suivi une formation aux premiers secours, et lui-même l’a employé à plusieurs reprises, lorsqu’il s’est retrouvé le premier sur les lieux d’un accident. Mais pour que cet homme l’emploie, et qu’il utilise ce ton, il doit être dans un état bien lamentable.

« Monsieur, les secours ont été prévenus, dites-moi comment vous vous sentez.

-J’ai mal. Ma jambe. » Pierre a du mal à articuler. La douleur est si intense que ses pensées ont du mal à rester cohérentes. Il ne pense qu’à sa jambe. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Dans sa position, il ne voit pas l’état de sa jambe. Il pense qu’elle doit être cassée. Il voit son pied, le bout de sa chaussure, mais ne peut pas voir la gravité de ses blessures.

Etrangement, il ne panique pas. La douleur le fait souffrir, il ne parvient pas à penser à autre chose, alors son cerveau se met en branle, et il tente de retrouver la maîtrise de ses pensées.

« Ma moto ? La voiture ?, parvient-il à articuler.

-Heu, votre moto est en mauvais état, la voiture aussi.

-Les gens… Dans la voiture ?

-Ils vont bien, ils vont bien. Un eu choqués, mais ils vont bien. » L’homme est perplexe, surpris par cette inquiétude pour des inconnus qui ont provoqué l’accident sous ses propres yeux.

« J’ai mal…

-Ne vous inquiétez pas, les pompiers sont en chemin. On les a appelés. Vous avez mal ailleurs qu’à la jambe, pas d’étourdissement ? »

Bien sûr que si, Pierre a des vertiges, la tête lui tourne un peu, mais la douleur de sa jambe est telle que le reste lui paraît insignifiant.

La douleur, et la peur. Sa jambe. La panique le saisit. Quelle est la gravité de sa blessure ? Va t’il s’en sortir ? Va-t-il perdre sa jambe. Il envisage l’horrible vie qui l’attend s’il perd sa jambe. Il sait qu’elle a été écrasée entre les deux véhicules lors de l’impact. Il est en état de choc.

« Monsieur, voulez-vous qu’on appelle quelqu’un ? Votre famille ? »

Pierre réalise alors la situation dans laquelle il se trouve. Il est en Provence. Il vit seul. Sa famille est en Bretagne, et ils ignorent tout de son état.